Il n’y a pas de cuisine africaine

Article : Il n’y a pas de cuisine africaine
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29 juillet 2019

Il n’y a pas de cuisine africaine

Il y a quelques années, j’ai été amenée à réfléchir à la question « pourquoi la cuisine africaine peine à s’exporter ? ». Je suis récemment tombée sur ce que j’avais dit sur le sujet à l’époque et je me rends compte que comme beaucoup, je suis tombée dans un cliché courant à savoir qu’il y a une cuisine africaine.


À partir de ce moment, tout ce que j’ai pu penser est tout simplement faux. Dire qu’il y a une cuisine africaine s’apparente quelque peu à dire qu’il y a une langue africaine. Comme quoi les clichés sur l’Afrique, c’est plus souvent une question d’ignorance que de racisme. Maintenant que je m’intéresse davantage au sujet, je me rends compte qu’il n’y a tout simplement pas de cuisine africaine.

Le terme « cuisine africaine » est correct, mais…

On parle bien de cuisine asiatique ou de cuisine européenne me diriez-vous. Alors, pourquoi ne pas parler de cuisine africaine ? Le terme en lui même n’est pas incorrect, mais attention à l’amalgame. Autant on parle de cuisine asiatique, autant on fait le distinguo entre la cuisine japonaise et la cuisine chinoise par exemple. On emploie peut-être le terme cuisine européenne, mais on fait une différence nette entre la cuisine italienne et la cuisine française. En revanche, la cuisine africaine est souvent considérée comme un tout. Dans ce sens, c’est facile de préjuger en pensant : « la cuisine africaine est trop grasse, peu variée… »

Il y a dans les cuisines africaines une diversité de produits Crédit photo: Lucrèce Gandigbe

Demandez à un Béninois de manger du riz avec du gombo, une spécialité sénégalaise, ou à un malgache de manger des chenilles, une spécialité sahélienne, et vous comprendrez très vite que « la cuisine africaine » n’existe pas. Il y a une diversité de produits et surtout une multitude de méthodes de transformation qui font qu’à mon avis, on ne peut pas faire de la cuisine africaine une généralité. Et cela, il faut que les Africains eux-mêmes le comprennent avant de pouvoir être ambassadeurs de leur patrimoine culinaire.

Remplacer des framboises par du tamarin ne suffira pas

La cuisine africaine est un sujet relativement tendance comme on peut le constater avec de plus en plus de blogueurs et de chefs qui s’emploient à lui donner de la visibilité. Beaucoup font le pari de revisiter les plats africains. Les résultats sont pour la plupart très intéressants.

L’idée est de faire découvrir et apprécier nos produits et nos mets au reste du monde. Je me suis moi-même prêtée à l’exercice, mais après réflexion, je me pose la question. Est-ce la bonne manière de procéder ? Plutôt que d’installer nos produits dans le confort des techniques culinaires d’ailleurs, ne devrait-on pas trouver un moyen de faire sortir les autres de leur zone de confort ? Les Français sont connus pour prendre un seul repas avec cuillères et fourchettes de différentes tailles (oui je sais, c’est cliché), mais ils se sont quand même habitués à manger un hamburger. Alors pourquoi faire un sorbet bissap pour faire découvrir le bissap à un italien ? Revisiter les cuisines africaines est sans doute une très bonne idée. C’est la preuve que ce n’est pas figé et que la nouvelle génération de cuisiniers africains ne manque pas de créativité. Mais pour se défaire des préjugés et exporter la chose, à mon avis, il faut aller plus loin. Remplacer un coulis de framboises par un coulis de tamarin pour accompagner nos desserts ne suffira pas.

Cuisine africaine
Poulet DG (Cameroun) revisité Crédit Photo: Lucrèce Gandigbe

Pour que la cuisine africaine s’exporte, il faut d’abord qu’elle s’exporte… en Afrique

Je n’ai définitivement pas une réponse claire et nette à la question « pourquoi la cuisine africaine peine à s’exporter ? ». Mais partant du principe qu’il y a des cuisines africaines, mon avis est qu’on a tout intérêt à les explorer. Il serait utile de mener le combat à échelle continentale. Avant même de donner de la visibilité aux spécialités africaines dans les autres régions du monde, il faudrait que les Africains les découvrent eux-mêmes. Pensez-vous qu’un restaurant éthiopien aurait du succès au Bénin ? Qu’un marocain pourrait délaisser son tajine pour apprécier un bon ndolé camerounais ? À mon avis, le vrai chantier se situe à ce niveau. Susciter l’intérêt et l’envie des Africains pour des plats africains autres que ceux qu’ils ont l’habitude de manger. Et il semble bien que ce ne soit pas demain la veille.
Si après ce monologue, vous n’êtes toujours pas convaincu qu’il n’y a pas de cuisine africaine, voici quelques images qui devraient vous faire changer d’avis.

Sauce feuilles (Bénin) Crédit photo: Lucrèce Gandigbe
Tiebou Dieune (Sénégal) Crédit photo: Roger Lasmothey https://mawulolo.mondoblog.org/
Attieke Aloco (Côte d’Ivoire) Crédit photo: Sonia Guiza https://lagozi.mondoblog.org/
Chitoumou (Mali) Crédit photo Georges Attino https://attino.mondoblog.org/
Koki (Cameroun) Crédit photo: Alexandra Tchuileu https://atchuileu.mondoblog.org/
Touwon massara da miyar yodo_(Niger) Crédit photo: Ousmane Mamoudou https://lesmotsdupeuple.mondoblog.org/
Amiwo (Bénin) Crédit photo: Prisca Kumako https://priscakumako.mondoblog.org/
Tajine (Maroc) CC the foodhoe Flickr
Injera (Ethiopie) CC Brownpau Flickr
Egusi (Nigeria) CC Kake . Flickr

La liste est loin d’être représentative…

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Commentaires

Tanguy
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Miam, trop bon!

Personnellement, j'ai découvert la cuisine éthiopienne au Rwanda et j'ai adoré! Comme quoi, le changement et en marche (et le Rwanda a peut-être une longueur d'avance mais ça, c'est une autre histoire).

Lucrece
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J'espère que tu auras l'occasion de découvrir la cuisine béninoise aussi un jour Hashtag J'enclenche le changement :D

Serge
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Parfois j'oublie combien j'en connais des variété en plats africains. La cachupa du cap-vert que j'ai decouvert au Brésil où j'ai un nombre incalculable d'amis cap-verdiens. A chaque rencontre, fête ou réunion, il y en a toujours au menu.
La cuisine camerounaise, ahaha, c'est un peu la famille.
La cuisine ivoirienne, je l'ai découvert à Abidjan, j'ai adoré le atcheké...
Et puis, il y a le Bénin et le goût du piment qui me surprend toujours.
Au Congo, nous avons aussi une énorme variété selon les régions et le climat, mais je peux citer le fumbwa, le pondu, le mbika, etc. Certains de ces plats sont assez similaires aux plats camerounais, mais eux te diront que ce ne sont pas les mêmes feuilles.
Y a une semaine, ma petite amie camerounaise à gouté pour la première fois au matembele, plat typique de RDC, c'était sa première fois. Elle en a mangé toute la semaine. Lol :)

Lucrece
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Haha je voudrais bien goûter ce matembele!!

Eli
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Avec des images qui font saliver, je crois que je n'aurais pas du lire ce billet à cette heure au boulot, en train de penser à quoi manger! Effectivement, la question de la valorisation des plats africains par les africains eux mêmes n'est pas souvent posée. Pourtant la charité bien ordonnée devrait commencer par soi. A Lomé par exemple, les maquis qui servent des spécialités d'autres pays africains sont plus fréquentés par les ressortissants de ces pays. Depuis qu'un ami m'a fait découvrir un maquis ivoirien je n'y ai mis pied qu'une fois, bien que j'apprécie l'atchekè. Les difficultés qu'on a à adopter d'autres spécialités africaines rendent bien compte de la diversité culinaire en Afrique. Mais je pense qu'au delà de ces différences, certaines habitudes sont partagées. En Afrique de l'ouest par exemple, il n'est pas rare de retrouver de l'alloco, du gombo, de l'igname, du mais ou du manioc dans certains plats.

Eli
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Avec des images qui font saliver, c'était pas une bonne idée de lire l'article à pareille heure hein! Effectivement on ne se pose pas toujours la question de la valorisation des plats africains par les africains eux-mêmes. Charité bien ordonnée oblige. Ceci me rappelle que depuis qu'un ami m'a fait connaitre un maquis ivoirien quelque part à Lomé, je n'y ai mis pied qu'une fois. Je pense qu'il y a un manque d’événements culinaires qui permettent aux populations de découvrir d'autres spécialités africaines et de les déguster. Bon billet!

Lucrece
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Merci :) "Je pense qu’il y a un manque d’événements culinaires qui permettent aux populations de découvrir d’autres spécialités africaines et de les déguster. " VRAI

Limoune
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Malheureusement, l'Afrique est un continent que l'Occident réduit à une entité simple. Comme tu l'as dit on parle de langue africaine (?), de cuisine africaine (?), mais de tenue africaine (?) aussi, de danse africaine (?)... à croire qu'il n'y a aucune diversité en Afrique. En Egypte, on a la chance d'avoir des restaurants soudanais, éthiopiens, somaliens, c'est malheureusement limité à l'Afrique de l'Est, mais ça permet de voir que rien que d'un pays à un autre, la culture culinaire change. Merci beaucoup pour ton article et les découvertes culinaires que j'ai pu faire à travers lui.

Lucrece
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Merci d'être passée sur mon blog :) En Afrique de l'Ouest c'est pareil! Au Sénégal on peut manger dans des restaurants béninois, togolais, ivoiriens... encore que restaurant est un bien grand mot! On a tout intérêt à élargir les horizons

Martine
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Cet article est passionnant et tellement vrai ! la réflexion est simple, logique mais personne n'y avait pensé. Je suis d'origine landaise, j'ai épousé un béninois et sa cuisine qui m'a enchantée ! je confirme les nuances des cuisines africaines d'un pays à l'autre avec une grande richesse dans la variété. Mais je confirme aussi que si un français va aimer manger italien, allemand ou espagnol il est plus difficile de demander à un camerounais de manger tunisien...

Lucrece
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"si un français va aimer manger italien, allemand ou espagnol il est plus difficile de demander à un camerounais de manger tunisien…" C'est là tout le challenge!

Warda
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Merci pour cet article ! :) je l'ai partagé avec un groupe d'étudiants français auxquels je propose un cours sur la culture "afropéenne" : peut-on imaginer une cuisine afropéenne, si la cuisine africaine n'existe pas ?

Lucrece
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Sous le néologisme, "afropéenne" on peut regrouper beaucoup de choses. Mais oui c'est très fréquent désormais de faire fusionner les cuisines européenne et africaine. Beaucoup de chefs africains en réussissent le pari. Parmi mes préférés, il y a
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